Tous les soleils

"Maria Battiato était résolue à vivre une grossesse resplendissante, optimiste, égoïste : une gravidité en tous points semblable à ces arcades liquides et sonores qui franchissent d'un bond la via Maqueda ; une chambre d'échos dans laquelle l'oreille interne de l'enfant capterait, d'abord, le tam-tam digital des gouttes d'eau sur le zinc, le galop des ardoises emportées, le tourbillon des bouches d'égoût, et enfin la rumeur d'arrière-fond dominée par le meuglement des autobus.

Dès les premières semaines, elle fut persuadée de connaître son sexe, et que ce serait un garçon. Elle me raconta plus tard comment lui était venue la certitude. Lorsque le lait monta dans sa poitrine et se mit à mouiller sa chemise de nuit, elle en recueillit une larme avec le bout du doigt, qu'elle étala sur une pièce de monnaie en cuivre. Elle voulait observer la réaction des éléments, et si le lait corrodait le métal, ce serait un garçon. En revanche Zia Agnesina ne croyait pas qu'on puisse deviner le sexe des enfants, parce que le sexe est justement la chose qui se façonne en dernier, bien après le lobe de l'oreille et les sillons sous la plante des pieds."

Récit magique d'une Sicile jamais nommée, bien que terriblement exacte jusque dans ses visions mortuaires et pré-natales, ses tremblements de terre, sa passion du football et ses fêtes religieuses. Tous les soleils est écrit à la première personne par un auteur français qui a choisi de totalement s'identifier à l'Italie du Sud, et d'y vivre.

Outre le vibrato d'une langue que l'on dirait sensible aux variations atmosphériques, les amours de Maria Battiato et l'aventure posthume du petit juge Fulvio Falli, pris au piège de sa propre enquête, on sera retenu par la technique particulière des douze chapitres, dont chacun peut se lire comme un conte fantastique, mais qui s'enchaînent et rebondissent avec un naturel extrême jusqu'à la scène finale du repas empoisonné - "... car toutes les histoires sont une seule histoire, tous les soleils sont égaux face à l'unique soleil."