De la mi-mai au début du mois d’août 1944, des dizaines de milliers de Juifs hongrois ont été déportés à Auschwitz sous l’objectif de deux photographes SS qui ont réalisé plusieurs centaines de clichés montrant leur arrivée sur la rampe. Ces images, rassemblées dans un album, constituent la principale source visuelle sur la « solution finale ». Elles ont modelé la manière dont on se représente la Shoah, faisant parfois oublier que leur objectif premier était de témoigner du bon fonctionnement de l’entreprise d’extermination.
La reconstitution des séries qui composent l’album permet de leur donner bien plus de sens, mais elle n’offre elle aussi qu’une vision limitée. Elle ne montre que ce qui se déroule entre l’arrivée sur la rampe d’un convoi et la lisière des chambres à gaz, réduisant ainsi la « solution finale » à un processus relativement simple : des bourreaux, les SS, et leurs victimes juives, en un site qui paraît totalement isolé du reste du monde. C’est oublier qu’autour du terrible face-à-face gravitaient d’autres individus, visibles sur certaines photographies, dont la présence laisse deviner l’anticipation, la préparation du crime et son inscription dans un monde glaçant par son caractère quasi ordinaire.
Tal Bruttmann est l’un des meilleurs spécialistes de la Shoah et de l’antisémitisme en France au xxe siècle. Il est notamment l’auteur de La Logique des bourreaux (Hachette, 2003 ; Fayard, 2015) et d’Auschwitz (La Découverte, 2015, 2025). Avec Christoph Kreutzmüller et Stefan Hördler, il a publié Un album d’Auschwitz. Comment les nazis ont photographié leurs crimes (Seuil, 2023).
Christoph Kreutzmüller est spécialiste de l’histoire de la société allemande sous le régime nazi et a publié plusieurs livres remarqués, dont Berlin im Nationalsozialismus. Abriss einer Stadtgeschichte, coécrit avec Bjoern Weigel (Bebra Velag, 2025). Il codirige le projet de recherche et de documentation photographique #LastSeen et préside l’Aktives Museum.