La vie familiale n’est pas un long fleuve tranquille, ni un sanctuaire protégé des logiques capitalistes, un espace du « bonheur » et du « désir » fait de liens électifs, comme l’ont pensé les théoriciens de la modernité et post-modernité. Certes la famille peut être le support de rôles sociaux valorisés comme ceux de père ou de mère. Mais elle est parfois le lieu d’exercice de violences extrêmes – féminicide, inceste –, comme l’a rappelé récemment le procès des viols de Mazan. La famille est plus généralement un espace de transactions symboliques et économiques quotidiennes, marquées par des rapports asymétriques, entre parents et enfants, conjoint et conjointe ou encore aîné·es et cadet·tes.
Ce numéro, qui sera suivi d’un second volet, propose justement de (re)penser les rapports de domination à l’œuvre dans la famille pour comprendre l’ensemble des modes d’exercice du pouvoir qui s’y jouent. Comment expliquer leur relative stabilité au-delà des formes singulières qu’ils revêtent selon les contextes ? Les contributions réunies dans ce volume – depuis un entretien avec Dorothée Dussy autour de ses travaux sur l’inceste jusqu’à un examen des données statistiques sur les inégalités de patrimoine dans les couples – montrent que la famille constitue un lieu central d’apprentissage et de reproduction des rapports de pouvoir, en particulier ceux liés au genre, à la classe et à l’âge. Il explore ainsi la reconfiguration des relations entre enfants et parents quand ces derniers recourent à une aide à domicile, celle des rapports conjugaux en migration ou encore les formes de résistance de parents « progressistes » des classes supérieures à la transition de genre de leur enfant. Ces travaux soulignent que les familles ne sont pas isolées : elles sont aussi traversées par d’autres institutions, comme l’État social ou le droit, qui les encadrent, les contrôlent, et participent parfois à renforcer les inégalités plutôt qu’à les réduire. L’espace domestique, de ce point de vue, n’est qu’en apparence un monde clos.